Roland Lefranc
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Hommage à Roland Lefranc
 
(Article écrit à l'occasion de l'Exposition de Condé-Sur-Noireau du 14 Décembre 2002 au 15 Mars 2003)
 
 
Roland Lefranc fait partie de ces quelques peintres pour lesquels la probité et l'authenticité artistique sont les pierres angulaires d'une belle carrière picturale. En effet, au delà des modes et des diverses expressions artistiques dites contemporaines, il s'est efforcé tout au long de sa vie de représenter le monde et la nature qu'il aimait pour nous l'offrir. Ainsi il disait :
"Devant un paysage, des êtres en plein effort, un ballet de mouettes, une cavalcade de chevaux, le matin sur la plage, des bateaux luttant avec la vague ou le tempo d'un orchestre, je ressens l'envie implacable de traduire sur la feuille vierge ou sur la toile blanche les sensations fortes qui montent en moi. C'est, je pense, pour pouvoir mieux en jouir en me les appropriant mais surtout pour tenter de partager avec d'autres ce que j'ai ressenti".
Né en 1931 à Carcagny, dans le Calvados, Roland Lefranc se sentait normand jusqu'au bout des ongles. Et c'est donc en Normandie qu'il se forma à son futur métier tout d'abord à l'École Normale puis à l'École des Beaux-Arts de Caen sous la direction du peintre Garrido, de 1947 à 1951.
Mais au-delà d'un enseignement rigoureux, au delà d'une approche traditionnelle de la peinture Roland Lefranc avait su dépasser le risque de l'anecdote et la simple "copie" d'un paysage. Pour lui, la peinture était une chose trop sérieuse pour "singer" la nature et ne représenter que ce qui s'offrait à lui. C'est pour cela qu'il préférait aller au-delà de la simple image entrevue, en la transformant, en la métamorphosant en vision onirique, afin de "créer" un monde à la fois esthétique et profond, à la fois sensible et étonnant. Quand on lui demandait ce qu'était pour lui la peinture, il répondait :
"C'est dépasser l'anecdote et tenter d'atteindre l'Universel ; c'est un peu le rêve d'Icare. L'entreprise est périlleuse mais elle en vaut la peine et c'est peut être aussi notre moyen de survie dans un monde trop hostile".
 
Marée basse en Cotentin
 
Comme tous les normands, Roland Lefranc aimait la mer et les bateaux et c'est pour cela que ce fut pour lui à la fois une grande joie et une vraie satisfaction d'être nommé Peintre Officiel de la Marine en 1999, trop peu de temps, avant sa disparition. Pour lui, cette nomination avait été ressentie comme une reconnaissance de son art par ses pairs. Il rejoignait ainsi dans ce corps prestigieux ses grands aînés qui, au fil des siècles, avaient peint la mer les bateaux, mais il retrouvait aussi ses amis avec lesquels il partageait la même passion. Et si ses oeuvres étaient et sont toujours aussi admirées c'est parce que sa qualité humaine, sa générosité et son écoute transparaissaient à travers un langage pictural remarquablement subtil et nuancé. C'était un travailleur infatigable qui sans relâche traquait le motif, la lumière, la couleur. Il disait :
"J'aime physiquement triturer la pâte, me battre avec elle pour lui faire exprimer et rendre intelligible au plus grand nombre ce que l'oeil puis l'esprit ont perçu et peut-être, amener les spectateurs à s'attarder un peu plus dans la contemplation d'un spectacle que notre vie trépidante les aurait amenés à passer devant sans le voir et, -qui sait?-, peut-être en y ajoutant leur propre vision...."
L'une des qualités de Roland Lefranc réside dans le fait qu'il était aussi à l'aise dans les grands formats que dans les petits. Peintre gestuel, il parvenait à camper sur la toile avec maestria un galop de cheval ou une scène de plage, avec une sensibilité communicative, comme une sorte de prière. Roland Lefranc disait :
"J'aime les grands espaces, l'oeil et l'esprit peuvent y voyager loin. Mais j'aime aussi les terroirs plus confidentiels ; on a parfois besoin d'une petite chapelle pour se recueillir et prier".
 
Le duo, 61 par 50 (cm)
 
 
Cette exposition qui va se dérouler à la médiathèque municipale de Condé-sur-Noireau va donc être, d'une certaine manière, une possibilité de communiquer non seulement avec la peinture de Roland Lefranc mais aussi avec son esprit. Elle regroupera des toiles sur le thème de la Normandie peintes jusqu'en 1984 et des oeuvres inspirées de nombreux voyages qu'il fit avec son épouse jusqu'en l'an 2000. Il faut donc remercier pour son heureuse initiative Monsieur Allizard, maire de Condé-sur-Noireau et conseiller général de Basse Normandie. En effet cette très belle exposition de prestige de Roland Lefranc est la première manifestation de cette importance organisée depuis la disparition du peintre. Elle sera placée sous le parrainage du vice-amiral Hubert Pinon, préfet maritime. On ne peut donc que conseiller à tous ceux qui aiment la vraie peinture de se rendre à Condé-sur-Noireau afin de retrouver un artiste figuratif d'exception occupant une place importante dans le panorama artistique actuel.
Pour conclure j'aimerais encore citer une phrase de Roland Lefranc :
"Quand les traces de labeur sont effacées, quand les longs moments de doute et d'interrogation sont oubliés, quand on parvient à une approche personnelle, fut-elle imparfaite, de ce que l'oeil et l'esprit ont conçu, alors quelle source de grandes et fortes joies et comme l'oeuvre à venir, demain sera belle !"
 

Patrice de la Perrière

Univers des Arts, n°75, dec2002-janv2003

 

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